dimanche 17 juillet 2005

BIOGRAPHIE


"Parmi tant de raisons d'admirer Ravel,
il en est une qui nous est particulière,
à nous autres Hellènes, et qui nous rend
sacrée sa mémoire : Un de nos meilleurs
compositeurs, Emile Riadis , qui nous a été
ôté prématurément mais dont le souvenir
est impérissable, fut le fervent disciple et
admirateur de Ravel."
Manolis KALOMIRIS

("Grèce, In memoriam", La Revue Musicale,
n° spécial Maurice Ravel, 1938, p. 243 ;
rééd. in MARNAT, Marcel, Maurice Ravel.
Qui êtes-vous ?, Lyon, La Manufacture, 1987,
p. 394-395)

SALONIQUE / THESSALONIQUE : PREMIERS PAS D’UN POETE ET D’UN PIANISTE

Emile Riadis, en grec Αιμίλιος Ριάδης / Emilios Riadis (le prénom grec Αιμίλιος du compositeur est parfois transcrit Aimilios ou Aemilios et son nom grec Ριάδης est parfois orthographié de manière plus ou moins approximative Rhiadis, Riades, Riadès, Rhiades, Rhiadès...), de son vrai nom Emilios Khu, est un artiste grec qui vit le jour à Salonique (= Thessalonique), capitale de la Macédoine, un jour de printemps des années 1880, le 13 mai, date du calendrier julien, c'est-à-dire le 1er mai dans le calendrier grégorien, vraisemblablement de l'année 1888 (selon des documents que nous avons consultés ; les musicologues Anoyanakis et Leotsakos proposant quant à eux la date de 1880 à la lueur d'un autre document). Emile Riadis s’est d’abord fait connaître comme poète dans des revues grecques d’Athènes comme Εθνικόν Ημερολόγιον [Le Calendrier National] ou Μακεδονικόν Ημερολόγιον [Le Calendrier Macédonien], sous le pseudonyme d’Emilios Eleftheriadis, soit le nom de jeune fille de sa mère. C’est dans sa ville natale de Thessalonique, alors deuxième ville la plus importante de l’Empire Ottoman après Constantinople, que le jeune homme fait ses études musicales auprès de Dimitri Lallas (1848-1911), compositeur macédonien originaire de Monastir (Macédoine), disciple de Wagner qui avait séjourné à Bayreuth mais dont les œuvres ont eu l’infortune d’être détruites (suite au naufrage du navire dans lequel elles venaient d’être embarquées pour être éditées en Italie). Il ne fait aucun doute que la mosaïque culturelle de Salonique a enrichi l'expérience musicale de Riadis : la ville, hérissée de minarets, de synagogues et d'églises chrétiennes, était alors composée pour moitié de Juifs sépharades (environ 50.000), expulsés jadis d'Espagne et préservant une culture particulièrement originale et féconde, de Turcs, d'Arméniens, de Grecs, etc.


MUNICH (1908-1910): L’EXPERIENCE DU CONSERVATOIRE



Recommandé par son premier maître, Emilios quitte la Macédoine pour l’Allemagne où il étudie au Conservatoire royal (Königliche Akademie der Tonkunst) de Munich (1908-1910) auprès de Félix Mottl (1856-1911), Anton Beer-Walbrunn (1864-1929), Mayer Gschrey, Becht et Stich. C'est à Munich que le musicien fait la connaissance de Gustave Charpentier venu passer une année dans la capitale bavaroise, en 1909-1910 -et non en 1911 comme l'indiquent plusieurs sources-.


PARIS (1910-1915) : LA NAISSANCE D’UN COMPOSITEUR

Mais le pianiste et apprenti compositeur n’a pas résisté à l'attrait de la ville-phare de Paris et à l’effervescence artistique qui régnait alors dans la capitale française (prestige de Debussy et de Ravel, saisons des Ballets Russes, innombrables sociétés de concerts, cosmopolitisme musical, etc.). Riadis vient donc se fixer à Paris à la veille de la Ière Guerre Mondiale (1910-1915). C'est là qu'Emilios Khu allait commencer à se faire un nom dans le monde musical, abrégeant son pseudonyme de poète "Eleftheriadis" pour la forme plus synthétique "Riadis" qui deviendra son nom officiel en 1934. A Paris, Emile Riadis fréquenta le monde musical et artistique parisien, accourut aux cénacles symbolistes et assista notamment aux mardi poétiques de la Closerie des Lilas animés par Paul Fort. Il connut ainsi les compositeurs Paul Ladmirault, d'origine bretonne ; Gustave Charpentier, l'auteur de Louise, dont il avait fait la connaissance à Munich en 1909-1910 ; René Lenormand, directeur de la société de concerts "Le Lied en tous pays" et père du dramaturge Henri René Lenormand, Florent Schmitt, Charles Koechlin, et surtout Maurice Ravel qui l'influença tout particulièrement. Il eut aussi l'occasion de connaître d'autres compositeurs venus des quatre coins de l'Europe tels que Manuel de Falla, Georges Enesco ou Constantin Braïloï. Il fréquenta également le célèbre critique musical Michel-Dimitri Calvocoressi, qui, comme Moréas, était français d'origine grecque, et qui surtout était un proche de Ravel et un membre des "Apaches" ; Léon Vallas, directeur de la Revue Française de Musique ; les cantatrices Spéranza Calo-Séailles, grecque installée à Paris ; Marguerite Babaïan, arménienne, belle-sœur du musicologue Louis Laloy ; Fanny Malnory-Marseillac ; Jane Bathori-Engel ; Paule de Lestang, épouse de Léon Vallas ; Mme Gaétane Vicq-Challet, dont le salon du 50, rue Saint-Didier accueillait de fréquentes soirées musicales et mondaines, etc ; les pianistes Robert Schmitz, Alfred Cortot, Antoinette Veluard, Marthe Dron, Blanche Selva, Armand Lacroix, Ennemond Trillat (lyonnais), Léo-Pol Morin (canadien), etc. Parmi les poètes, il connut : Paul Fort ; René Ghil, qui organisait des vendredis littéraires ; Pierre Quillard, arménophile ; Jeanne Valcler, poétesse et dramaturge qui fut semble-t-il liée à "L'Abbaye" de Créteil-"Groupe fraternel d'artistes" (1906-1908) ; Pierre-Charles Jablonski, directeur d'une petite revue d'avant-garde, Les Feuilles de Mai, co-fondée par l'artiste Jean-Lurçat, Charles Le Cour et N. Tchlénoff ; Jean Psichari, autre Français d'origine grecque, gendre d'Ernest Renan, etc. S'il n'eut pas la chance de connaître Jean Moréas qui venait de disparaître en mars 1910, il en entendit beaucoup parler grâce à son ami Miltiadis Malakassis (1869-1943), cousin par alliance de Moréas et poète grec réputé, qui séjournait lui aussi à Paris avant la Grande Guerre (1910-1915). Riadis, Malakassis et d'autres artistes grecs alors installés dans la ville phare, tels que Sotiris Skipis ou Fintias Theodossiades, fréquentèrent les mardi de la Closerie des Lilas et furent présents lors de l'intronisation de Paul Fort comme "prince des poètes" en juillet 1912. C'est donc à Paris que Riadis, tirant profit de cette effervescence culturelle, commença véritablement sa carrière de compositeur, éditant plusieurs recueils de mélodies pour voix et piano sur des vers de poètes français (allant de Ronsard ou Maurice Scève à Paul Fort en passant par Nerval ou José-Maria de Heredia), de poètes français d'origine grecque (Jean Moréas, Jean Psichari), de poètes grecs contemporains (Miltiadis Malakassis, Ioannis Gryparis, Kostis Palamas, Ioannis Kambyssis, Alexandros Pallis, etc.), enfin sur des vers de son propre cru, car Riadis avant d'être musicien s'était distingué comme poète sous le nom d'Emilios Eletheriadis dans les revues littéraires d'Athènes et Thessalonique. Quelques unes des mélodies de Riadis furent jouées aux concerts parisiens en présence de l'auteur entre 1912 et 1914. Mais, s'il est surtout connu pour ses mélodies, Riadis a aussi composé de la musique de chambre, de la musique de scène, de la musique symphonique, des opéras (inachevés), etc. Ses débuts prometteurs aux "petits" concerts (Salon d’Automne, Concerts Touche, Le Lied en tous pays, etc.), dans des salons parisiens (comme celui du docteur Henri Châtellier et son épouse, née Jousset, au 8, rue des Saussaies) mais aussi lors de concerts plus importants, à la Société Nationale de Musique (SNM), le 1er mars 1913 (397e concert), et à la Société Musicale Indépendante (SMI), le 4 mai 1914, laissaient augurer une belle saison 1914-1915, avec plusieurs projets d’œuvres symphoniques pour les "grands" concerts et de publications littéraires et musicale. Cependant la tournure historique des événements allait en décider autrement et mettre prématurément un terme à la carrière parisienne du compositeur.


THESSALONIQUE (1915-1935) : LE RETOUR AU PAYS NATAL ET LA MATURITE

Au retour définitif de Riadis à Thessalonique en 1915, sa ville natale, il y devint professeur de piano et vice-directeur du Conservatoire National de Thessalonique (Κρατικό Ωδείο Θεσσαλονίκης), qui venait d'être fondé, jusqu'à sa mort prématurée en 1935, poursuivant inlassablement sa tâche de compositeur.
Cependant, ce n'est que rarement que ses mélodies figurèrent désormais au programme des salles parisiennes, souvent à la faveur de tournées d'interprètes hellènes, dont Gina Bachauer, et occasionellement de concerts de musiciens français comme les pianistes Eugène Wagner, Jean Wiener, Marie Panthès, etc. ou la cantatrice Fanny Malnory-Marseillac par exemple, ou d'artistes établis à Paris comme le hongrois Tibor Harsanyi, l'arménienne Marguerite Babaïan, la grecque Speranza Calo-Séailles et ses élèves dont le grec Simos Xenos, etc. A Lyon, la cantatrice Paule de Lestang, épouse de Léon Vallas, restée en contact avec le compositeur, garda à son répertoire les mélodies d'Emile Riadis. En revanche, le public français n'a jamais eu l'occasion de découvrir le reste des oeuvres du compositeur de Salonique : pièces pour piano, musique de chambre, etc.
Parallèlement à son enseignement au Conservatoire, Riadis joua un rôle actif dans la vie culturelle de sa ville, Salonique, même si son choix de rester en "province" a nui au plein épanouissement de sa musique au sein même de son pays et notamment à Athènes. Malgré tout il ne cessa naturellement pas de composer des œuvres musicales diverses, participa à des concerts, donna des conférences dont certaines furent publiées, et continua à éditer des poèmes et des articles de critique d'art ou musicale dans les périodiques de Thessalonique et d'Athènes. Emile Riadis n'a jamais abandonné la poésie, continuant à publier des vers dans la presse, désormais affranchis de l'aspect souvent patriotique d'avant 1912. Il fréquenta de nombreuses personnalités grecques du monde des Belles-Lettres, mais il faut surtout évoquer la correspondance, de 1926 à 1927, entre Emile Riadis et Kostis Palamas (1859-1943), le poète le plus important de sa génération ; c’est au compositeur que revient le mérite d’avoir convaincu le poète de se rendre à Thessalonique pour y célébrer le cinquantenaire de la publication du premier poème de Palamas. Celui-ci inspira par ailleurs à Riadis quelques-unes de ses plus belles mélodies, dans le cycle des Lamentations dont les poèmes sont extraits du célèbre recueil intitulé Tombeau (1898) dédié par Palamas à son fils Alkis, mort prématurément à l'âge de cinq ans. Emile Riadis s'inscrit donc à la fois dans le paysage musical français du début du XXe siècle et dans la géographie musicale grecque, pour ne pas employer l'expression un peu abusive d'"école nationale hellénique" qui est le plus souvent employée. Il figure parmi les figures les plus importantes de la musique savante grecque du premier tiers du siècle passé, à côté de Manolis Kalomiris (Smyrne, 1883‑Athènes, 1962), considéré comme le chef de file de ce mouvement musical, à côté du célèbre chef d'orchestre Dimitri Mitropoulos (Athènes, 1896‑Milan, 1960), tout à la fois pianiste virtuose et compositeur, et à côté de quatre compositeurs venus comme lui parfaire leur formation musicale à Paris : Mario Varvoglis (Bruxelles, 1885‑Athènes, 1967), Petro Petridis (Nigde, 1892‑Athènes, 1978), Georges Poniridy (Istanbul, 1892‑Istanbul, 1982), Dimitri Levidis (Athènes, 1886‑Athènes, 1951). Le premier directeur du Conservatoire d'Etat de Thessalonique, Alexandre Kazantzis, parle même du «groupe des quatre» formé par Riadis, Kalomiris, Varvoglis et Mitropoulos. Le talent de compositeur de Riadis fut récompensé officiellement par l'Etat grec le 15 novembre 1923, lorsqu'on lui remit, ainsi qu'à ses confrères Mario Varvoglis et Napoléon Lambelet, la Grande Médaille de Grèce des Lettres et des Arts [Εθνικόν Αριστείον Γραμμάτων καί Τεχνών]. Riadis est aussi l'un des membres fondateurs de l'Union des Compositeurs Grecs fondée le 12 février 1931 à Athènes, quatre ans avant sa disparition prématurée.
A noter que cinq ans après les hommages rendus à Emile Riadis à Athènes et Thessalonique, en 1992, le compositeur grec Tsalahouris Philippos a composé une oeuvre pour cordes en hommage à Emile Riadis : Adagietto, op. 27. In memory of the composer Aimilios Riadis (1997).

SALONIQUE

(Paroles de l'une des trois mélodies du recueil
Jasmins et Minarets. Chansons orientales
publié à Paris en 1913 ; paroles d'Emile Riadis)

Salonique, je te vois toujours, charmante,
sous le regard si triste de l'Olympe.
Salonique, tes fleurs et l'écume de ta mer
me bercent toujours.
Solitaire absent
je sens encore un regard triste
dans mon âme qui s'éteint...
Qui s'allume, qui s'éteint
Je sens une odeur de jasmin
qui m'entoure et meurt...

© All rights reserved. Dimitra Diamantopoulou-Cornejo
1994-2016


Contact : manuelcornejo2000(@)gmail.com
Nous remercions par avance toute personne susceptible d'avoir des informations sur Emile Riadis, la poétesse-dramaturge Jeanne Valcler, Mme Edouard Célérier, la cantatrice Fanny Malnory-Marseillac, l'écrivain Pierre-Charles Jablonski, les séances musicales du salon du docteur Henri Châtellier de bien vouloir nous contacter.